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par Giovanni Cucci

Le moment de la mort subite d'un être cher devient en même temps la reconnaissance d'une vérité douloureuse : à quel point l'autre était devenu une partie de nous, on peut malheureusement le plus souvent le reconnaître trop tard, par la déchirure intérieure provoquée par sa disparition. Chaque relation révèle un aspect, de soi et de l’autre, différent et irremplaçable. Ce caractère unique est dramatiquement rappelé par son décès, comme Lewis le note astucieusement : « Maintenant que Charles est mort, je ne verrai plus les réactions de Ronald à une blague typique de « Charles ». Il n’est pas du tout vrai que maintenant que Charles est parti, Ronald soit davantage à moi, car il est tout « pour moi » ; la vérité, c'est que maintenant j'ai moins que Ronald...".

Souvent, nous n'apprécions la valeur de l'être cher que lorsqu'il nous a été enlevé, découvrant en lui des choses qui étaient auparavant inaccessibles. Pour cette raison, la mort de l'être cher devient aussi sa propre mort, comme le souligne Pirandello. Lettre à la mère. En réalité, ce n'est pas elle, mais lui qui est mort car il ne pourra plus compter sur son affection, qui lui apportait chaleur et réconfort. La mère continue cependant de vivre dans l’esprit et le cœur de l’écrivain.

En même temps, la mort de l'autre peut aussi révéler un aspect de l'identité de celui qui reste, aspect jusqu'alors inconnu de lui-même, et connu uniquement grâce à cet événement tragique. Tels sont quelques-uns des nombreux aspects paradoxaux de la comparaison entre la mort et la vie : une partie de nous meurt quand d'autres meurent, mais une partie d'eux survit aussi en nous et nous rappelle notre être structurel en communion avec eux. .

Le lien indissociable de la mort et de la vie

Les tentatives pour supprimer la mort, qu'elles soient spéculatives, psychologiques ou pratiques, sont pour la plupart liées au fait qu'il s'agit de nier le senso qui caractérise la vie, et qui est indispensable pour continuer à vivre. L'homme est le seul être vivant qui sa de devoir mourir; les animaux périssent, seul l'homme meurt. L'homme est le seul être qui ressent avec acuité ce contraste saisissant, sa tension envers la vie et en même temps la force inexorable de la mort. C'est la particularité de l'angoisse vue plus haut : elle naît d'une demande de plénitude, d'une protestation face au « vol » de celle-ci opéré par la mort. Pourtant, l’angoisse, la question, la protestation ne pourraient surgir si cette plénitude, ce sens, n’étaient pas connus d’une manière ou d’une autre. Le négatif se montre comme une plénitude manquée, et en même temps que sa demande, motivée par une expérience, par un savoir qui est en quelque sorte donné, même si dans l'ajournement et l'absence exprimés par un lieu vide : « La même conscience de l'extrême finitude, le même sentiment angoissant de mort ne pourrait surgir que sur fond d'une tension qui surgit de l'infini et qui, immédiatement, doit se traduire précisément par le scandale du silence irréversible, par l'horreur ou la protestation qui craint le néant » (V .Melchior).

C'est cette tension qui nous fait rechercher une réponse possible, animée par une lumière connue. La perte d’un ami, d’un parent, d’un être cher, n’efface pas la valeur et l’intensité de ce qui a été construit ensemble. Mais cette valeur se révèle toujours dans le signe, dans le détail, laissant nostalgie d'une plénitude jamais pleinement donnée.

L’affirmation de l’homme en termes d’être-pour-mort, rendue célèbre par Heidegger, ne peut donc être associée au néant pur. Dans ce cas, en fait, même le questionnement lui-même disparaîtrait. En fait, on ne pouvait même pas le demander. Notre pensée et notre action sont toujours dans l'être : la notion de néant le présuppose. C'est Heidegger lui-même qui le reconnaît : « Si, avec une explication simpliste, nous faisons passer le néant pour ce qui est, nous renonçons nous aussi précipitamment à penser.

La mort ne peut donc pas seulement se dire à partir de la vie : elle parle aussi à la vie, c'est pourquoi elle est si douloureuse. En particulier, cela nous rappelle que l’existence, la nôtre et celle de ceux que nous avons aimés, ne peut être possédée. Accepter cette précarité ne signifie pas s'abandonner au non-sens, mais accepter d'autres savoirs, dont l'homme n'est pas la mesure. La recherche de sens reste ainsi continuellement traversée de paradoxe : ce n'est qu'en regardant la mort en face, seulement en ne possédant pas, seulement en lâchant prise que l'on peut expérimenter la vie et la présence de l'absent à nous, sous une autre forme.

C'est le sens même du travail de deuil.

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