Extraits, concernant le "meurtre par consentement"
par Marco Travaglio
Je ne veux pas parler de Lucio Magri, que je n'ai pas rencontré et que je n'aurais jamais songé à juger... Je sais juste que je n'organiserais pas une petite fête en attendant le coup de téléphone de la clinique suisse annonçant mon qui passe. (...)
Mais je m'arrête ici, car je voudrais dépersonnaliser le geste de Magri, ce qu'on appelle avec une horrible hypocrisie « suicide assisté » et qui devrait plutôt être appelé par son vrai nom : « Meurtre consentant ». Magri n'était pas en phase terminale, ni même dans un coma végétatif irréversible maintenu artificiellement en vie par une machine : il était physiquement sain et intact, même s'il était déprimé. (...)
Je voudrais donc en parler uniquement du point de vue que nous avons tous en commun : le logique, le juridique, l’éthique et le pratique.
D'un point de vue logique, il n'y a pas d'échappatoire : ceux qui soutiennent le droit au « suicide assisté » affirment que chacun de nous est le seul maître de sa vie. Admettons que tel soit le cas : mais c'est précisément pour cette raison que celui qui veut supprimer « sa » vie doit le faire seul ; si un autre prend les choses en main, la vie n'est plus la sienne, mais celle de cet autre. Donc s’il veut y mettre un terme, il doit y réfléchir lui-même. (...)
D'un point de vue juridique, il existe une barrière insurmontable : l'article 575 du Code pénal, qui punit « quiconque provoque la mort d'un homme » d'une peine d'emprisonnement de 21 ans à perpétuité. Il y a des circonstances atténuantes, mais pas d’exceptions : personne ne peut ôter la vie à autrui, point barre. S'il le fait volontairement, il commet un homicide volontaire. Même si la victime était consentante, ou l'a supplié de le faire, ou même l'a payé pour le faire. (...)
D'un point de vue éthique, autre mur infranchissable : le « serment d'Hippocrate » que doit prêter tout médecin, dentiste et même vétérinaire avant de commencer sa profession. Il n'est pas nécessaire d'ajouter autre chose. (...)
Comment peut-on demander à un médecin de mettre fin à la vie de sa patiente, c'est-à-dire de renverser son devoir professionnel de toujours la sauver à 180 degrés ? Ce serait beaucoup moins grave si ceux qui veulent se suicider, mais n'ont pas envie de le faire seuls, engageaient un tueur professionnel pour se faire tirer dessus à distance au moment où ils s'y attendent le moins : au moins le tueur, de métier, tue des gens. ; le médecin, de profession, doit la sauver. S'il vous aide à vous suicider, c'est un bourreau, pas un médecin.
D'un point de vue pratique, les obstacles à la légalisation du « suicide assisté » sont infinis. Qu'est-ce qu'il y a maintenant ? Allez-vous chez le médecin et demandez-vous une injection mortelle parce que vous en avez assez de vivre ? Ou existe-t-il une liste de pathologies qui permettent cela ? Et quelles seraient ces pathologies ? Grâce aux progrès de la science médicale, presque aucune pathologie n’est en soi irréversible. Pas même la dépression.
Ici, la seule chose qui est irréversible est le « suicide assisté » : il vous empêche de vous soigner et de guérir, donc de décider consciemment, c'est-à-dire librement, de votre vie. Que se passe-t-il si un médecin ou une infirmière sans scrupules procède ensuite à l’injection mortelle sans demande écrite explicite ? Et si un proche soucieux d’hériter racontait au médecin que le patient, avant de tomber dans un état d’inconscience passagère, avait demandé qu’il y mette fin ? (...)
Si nous rencontrons dans la rue un gars qui s'apprête à sauter dans la rivière, que fait-on : est-ce qu'on le pousse ou le retient et essaie de lui faire entendre raison ? J'espère que l'instinct naturel de chacun d'entre nous est de le sauver. (...)
Après tout, le nombre de suicides est un indicateur du malheur et non de la « liberté » d’un pays. Et lorsqu’il y a trop de suicides, la tâche de la politique et de la culture est de s’interroger sur les causes et de trouver des remèdes. À quoi sert alors de prôner le droit au suicide et d’élaborer des règles qui le facilitent ? Le suicide adopté par le Service National de Santé : sommes-nous tous devenus fous ? n
(extrait de Il Fatto Quotidiano, 2 décembre 2011)